« Il y a plus de mots arabes que gaulois dans la langue française ». Depuis quelques jours nous voyons plusieurs médias relayer l’information que la langue française contiendrait plus de 500 mots d’origine arabe. France Inter a notamment interrogé sur ce sujet Jean Pruvost, auteur de « Nos ancêtres les Arabes, ce que notre langue leur doit ». A la bonne heure ! Serions-nous donc culturellement descendants des arabes au même titre que des grecs, des romains ou des peuples celtiques et germaniques ? Tenez-vous bien, nous qui affirmons fièrement « nos ancêtres les gaulois » n’utiliserions qu’une centaine de mots d’origine gauloise. Bien moins donc que de mots arabes. La conclusion est claire : l’arabe fait partie intégrante de la culture française.
Passons sur le simple fait qu’en considérant que le français usuel emploie environ 32 000 mots, ces fameux 500 mots ne pèsent que 1,5%. Quand on creuse un peu plus le sujet, nous nous rendons finalement compte de la manipulation idéologique de ceux qui ont écrit ces articles à l’occasion de la journée mondiale de la langue arabe. Mieux, on se rend compte qu’ils arrivent à dire l’inverse de la signification de ce phénomène.
Différence de nature entre les mots « gaulois » et « arabe »
Il est frappant, lorsque l’on consulte une liste de ces fameux mots français d’origine arabe (ici par exemple) que les auteurs des articles évoqués précédemment ont pris soins de choisir les quelques mots qui font réellement partie du langage courant sans qu’on puisse supposer, sans connaissances particulières du sujet, qu’ils soient d’origine arabe : tasse, café, sucre, épinard, artichaut, magasin, jupe. Mais en regardant de plus près cette liste, on s’aperçoit que la grande majorité des mots français d’origine arabe sont en fait des mots qui décrivent des éléments de la culture arabe : aïd, ayatollah, babouche, bédouin, calife, chébec, djebel, émir, fatwa, fellaga, etc.
Il est important de noter également que de nombreux mots d’origine arabe sont arrivés en France en passant d’abord par une autre langue : ainsi « épinard » vient de l’ancien occitan « espinar » venant lui-même de l’arabe « اسفناج – isfinaj ». Ainsi « jupe » vient de l’italien « giubba » issu de l’arabe « جبة – jobba ». « Artichaut » vient également de l’italien (lombard plus précisément) « articiocco » lui-même issu de l’arabe « خرشف – ḵaršūf ». Ce mot arabe venant lui-même du perse (langue indo-européenne comme le français à la différence de l’arabe qui est une langue sémitique). De même pour le « sucre », issu de l’italien « zucchero » venant de l’arabe « سُكّر – sakar » issu du persan « شکر – shekar » lui-même issu du sanskrit « शर्करा – śarkarā ». Pourquoi parler de mot d’origine arabe dans ce cas plutôt que persan ou sanskrit ?
Inversement, les mots d’origine gauloise décrivent en majorité des éléments de notre terre, de nos paysages, de notre ruralité : alouette, auvent, barque, blaireau, bouleau, bruyère, charrue, chemin, chêne, cheval, daim, jachère, lance, mouton, palefroi, ruche, souche, tonneau etc. (liste ici). Si malgré tout ils sont aujourd’hui peu nombreux dans notre langue (moins de 150), l’explication est simple. La Gaule, comme tout le monde sait, a été conquise par Rome dans les années 50 avant Jésus-Christ. S’en est suivi une période de romanisation de la Gaule par le biais, entre autre, du commerce et de l’administration. Le latin était donc devenu la langue de l’élite romaine, elle était la langue littéraire, juridique et administrative. Or, inversement, le gaulois était une langue de tradition orale qui, par définition, s’écrivait très peu. Ils n’avaient d’ailleurs pas d’alphabet propre et mais empruntaient celui des Grecs, des Étrusques ou des Latins, auxquels ils ajoutaient des lettres. Les druides sont en grande partie à l’origine de ce fait : considérant que la parole écrite est morte, ils ont privilégié l’oralité et la mémoire. Si donc le gaulois a peu à peu disparu des villes, il est resté plus longtemps utilisé dans les campagnes (d’où la nature des mots d’origine gauloise évoquée précédemment) mais a tout de même fini par disparaître au profit d’un latin vulgaire et d’un « gallo-roman » puis (très) ancien français.
Comment comprendre la présence des mots d’origine arabe dans notre langue française ?
La question qu’il faut également se poser est la raison de l’arrivée en langue française d’un certain nombre de mots d’origine arabe. Il y a différentes causes liées à différentes époques : les échanges commerciaux, les croisades et la création des Etats Latins d’Orient, l’occupation de l’Espagne par les musulmans (et, bien plus récemment, la colonisation et le phénomène migratoire vers la France depuis les années 60, mais cela concerne surtout des mots arabes, utilisés pour des éléments de la culture arabe.)
Beaucoup de nos jours imaginent que les pays ont attendu le phénomène dit de « mondialisation » pour s’ouvrir et échanger. Bien évidemment il n’en est rien. Les échanges commerciaux, véritable source d’enrichissement culturel en l’occurrence, sont un élément fondamental du « monde ancien ». De nombreux fruits et légumes par exemple sont arrivées jusqu’à nous en provenance de l’orient (proche ou extrême) grâce à ces intenses échanges commerciaux et nous avons logiquement gardé leur étymologie orientale.
La conclusion de tout ceci est finalement à l’opposé de l’idéologie défendue par les articles évoqués en propos liminaires. Tout d’abord, une grande partie des mots d’origine arabe utilisés en français servent à décrire des réalités du monde arabe. Ensuite, un certains nombre des mots évoqués nous sont parvenus par le biais d’autres langues et un certain nombre ont également une origine antérieure à l’arabe et ont donc juste « transité » par cette langue. Enfin, et surtout, on nous vante les bienfaits de l’immigration (de masse) par le biais de l’enrichissement culturel… Mais comment aurions-nous pu intégrer tous ces mots d’origine arabe dans les siècles passés s’il avait fallu attendre l’arrivée de centaines de milliers d’étrangers durant ces dernières décennies pour bénéficier d’un enrichissement culturel ?
Pierre Ardent
Nos ancêtres les Arabes .
Bien vu pour la majuscule.
Il faut en effet, Pierre Ardent, relativiser comme vous le faites.
(Pensez à mettre une majuscule ici: « ancêtres les Arabes ».)