André Bercoff : Le Camp des Saints devenu chronique d’actualité

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FIGAROVOX/TRIBUNE – André Bercoff prend la mesure du bouleversement migratoire qui touche l’Europe et déplore la perte de sens des mots pour évoquer le drame.


André Bercoff est journaliste et écrivain. Son dernier livre Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi est paru en octobre 2014 chez First.


Le présent bouleversement migratoire devient, de saisissante façon, l’auberge espagnole des fantasmes, des faiblesses et des réalités de l’Europe en général et de la France en particulier. Jamais feuille de température n’aura été aussi marquante que celle qui s’écrit en ce moment à Kos et à Munich, à Lampedusa comme à Lesbos, à Bodrum comme à Raqqa. Confusion, démagogie, réalisme, enfumage, dansent un ballet où trop souvent les mots ont perdu leur sens et les sens leurs mots. Morceaux choisis:

Vocabulaire: l’on est passé, pour qualifier les centaines de milliers d’arrivants, de «clandestins» à «migrants» et de «migrants» à «réfugiés». Comment faire le tri entre ceux qui fuient véritablement la zone des horreurs et qu’il convient d’accueillir, et ceux qui savent désormais que les attendent la CMU et l’AME, les logements sociaux et une allocation de 818 euros par couple, et qui sont légitimement attirés par ce qui leur paraît l’Eldorado, eu égard à ce qu’ils vivent. Si nous étions aujourd’hui Erythréens ou Syriens, Irakiens ou Somaliens, Pakistanais ou Maliens, nous n’hésiterions pas une seconde. Ils sont des dizaines de millions dans ce cas.

Simultanément, ici, des milliers de pauvres et de mal logés, qu’ils s’appellent Xavier ou Mohamed, Olivier ou Radu, établis en France depuis toujours ou depuis des années, en attente de logements décents, voient passer devant eux les primo-arrivants pour qui appartements, allocations et gratuité des soins sont prêts. Ils se posent des questions, et ils ne sont pas les seuls.

Les cinq cents habitants de Rosans, n’ont pas été consultés par leur maire qui a choisi d’accueillir deux familles de migrants. Les jeunes de ce village, en chômage prolongé, partent. Il y a actuellement cinq millions de chômeurs en France. Tout va bien.

Des artistes de talent, au demeurant estimables, lancent un appel à la main tendue ; mais quand on demande à certains s’ils sont prêts à loger et nourrir des familles dans leur résidence secondaire, comme a décidé de le faire le Premier ministre finlandais, ils font silence. Ainsi d’ailleurs que le président Hollande qui nous expliquait hier qu’il n’a pas de résidence secondaire.

Robert Badinter : «La France n’est pas en mesure d’accueillir les migrants qui viendront.» L’ancien ministre de la Justice a-t-il été, à son tour, gravement atteint par la lepénisation des esprits? Silence radio dans le camp du Bien.

Les mêmes qui, il y a deux mois, hurlaient contre l’Allemagne, bourreau du peuple grec et symbole du IVème Reich, n’ont pas aujourd’hui d’éloges assez vibrants à lancer à Angela Merkel, sacrée du jour au lendemain, madone de l’humanisme moderne. Le changement, c’est maintenant.

A écouter les sanglots longs des violons de la bonne conscience, l’Europe est raciste, colonialiste, impérialiste, les Français doivent se punir, se repentir, accueillir. Bienvenue à Vichy… Pendant ce temps, Abdel Bari Atwan, l’un des éditorialistes les plus célèbres du monde arabe, fustige violemment les richissimes émirats du Golfe et le royaume saoudien pour n’avoir pas accueilli un seul Syrien. Commentaire d’un officiel koweïti: «Nous n’avons pas à accueillir des gens différents de nous».

L’image du petit Aylan Kurdi, mort sur une plage turque, a fait légitimement le tour du monde. Mais pourquoi les photographies des enfants yezidis éventrés par Daech, des enfants yéménites écrasés par des bombes saoudiennes, des enfants syriens tués aussi bien par le régime que par les djihadistes ne peuvent-elles être vues – et dénoncées – que sur Internet et les réseaux sociaux ?

En fait, chacun sait que si l’on ne s’attaque pas, dans tous les sens du terme, aux causes, c’est-à-dire au totalitarisme intégriste qui ne fait que s’étendre, à la désintégration d’un nombre croissant de pays d’Afrique et du Moyen-Orient, aux carences internationales en matière d’aide au développement, ils ne seront pas des dizaines de milliers, mais des dizaines de millions à arriver sur nos côtes. Le livre de Jean Raspail, Le camp des Saints vilipendé à l’époque, est devenu chronique d’actualité à lire sans délai.

Chacun sait aussi que les comparaisons avec les réfugiés de la guerre d’Espagne et de 1940 sont pour le moins incongrues: les réfugiés de la guerre civile de 1936 étaient en grande majorité des femmes et des enfants. Les hommes se battaient sur le front. Quant au parallèle avec les pieds-noirs de 1962, il est tout simplement obscène. Au-delà des indignations sélectives et des émotions évidentes, il convient d’accueillir qui est vraiment dans la détresse en n’oubliant jamais qu’il est un seuil au-delà duquel le sens même du mot «nation» disparaît irrémédiablement dans le sable peuplé d’autruches.

Source : Le Figaro

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