[L’Homme Nouveau] Dans La Croix du 14 mai dernier, à propos du film de Dean Wright consacré aux Cristeros, Claire Lesegrétain conclut doctement :
« Forçant le trait sur la brutalité des soldats de l’armée fédérale, ce film oublie l’interdit évangélique de toute forme de violence, y compris pour défendre le Christ. De ce fait, ce Cristeros tient davantage du western que du film d’inspiration chrétienne. »
Trois contre-vérités (historique, théologique et spirituelle) en trois lignes seulement. Dans le seul quotidien soutenu par l’épiscopat français. Chapeau !
1. – Le film de Dean Wright minimise sensiblement la violence des Fédéraux
On n’y voit pas les drapeaux noirs aux tibias entrecroisés de l’armée fédérale. On n’y entend pas la sinistre sonnerie mexicaine du deguëllo, popularisée par le cinéma dans Fort Alamo (pas de quartier), ni ce cri de guerre qui se passe de traduction : Viva el Demonio ! Je n’ai pas vu non plus que le film ait consacré un seul plan aux plus épouvantables sacrilèges commis par les officiers de l’armée fédérale dans les églises, pour faire brouter par leurs chevaux les hosties consacrées, ou dans les cimetières des couvents, lorsqu’ils déterrent et décapitent les squelettes des moniales pour jouer au foot avec leurs têtes… On nous épargne aussi les émasculations systématiques des prêtres réfractaires, le viol des petites filles, les seins coupés des mamans ou l’éventration des femmes enceintes, en place publique, pour terrifier tous les villages qui abritaient des combattants. Le film de Dean Wright rend bien justice aux Cristeros, sur la pureté de leur combat. Et la vérité de cette œuvre reste totale au plan humain, psychologique et spirituel : une nation entière se soulève contre un gouvernement totalitaire et déicide, sans aucun autre objectif temporel que la restauration des libertés de sa foi. Mais je ne trouve pas que Dean Wright fasse également justice de la barbarie sanglante et intégrale des colonnes infernales de Mexico. Si la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû, elle s’est montrée ici bien trop clémente envers les assassins. Et un peu trop sévère parfois pour les Cristeros eux-mêmes, lorsque le scénariste reprend presque en copier-coller une scène inventée de toutes pièces par un vieux film de la propagande gouvernementale du « Parti Révolutionnaire Institutionnel » du Mexique, où l’on voit un chef de corps cristero pendre séance tenante un sous-officier de l’armée fédérale, dans une église, face au cadavre du prêtre que ce dernier vient de faire assassiner ! Les Cristeros au contraire ont mis partout un point d’honneur à ne pas suivre l’exemple des Fédéraux, qui torturaient frénétiquement, avant de les faire périr, tous leurs prisonniers.
2. – L’Évangile n’exclut pas les droits à l’insurrection
La loi d’amour évangélique en effet n’abolit pas les droits naturels de la légitime défense contre les assassins du corps, non plus que les droits spirituels contre les assassins de l’âme, qui peuvent conduire à l’insurrection nationale, codifiée dans la doctrine catholique de la « juste guerre » depuis saint Augustin et saint Thomas d’Aquin. Il y faut notamment une violation certaine, grave et prolongée des droits fondamentaux : dans le cas du Mexique, la persécution administrative, pénale et sanglante des prêtres et des fidèles catholiques, en 1926, s’aggrave depuis près d’un siècle, pas moins ! Il y faut également avoir épuisé tous les recours pacifiques contre l’oppresseur : les Mexicains ont multiplié trois ans de suite les manifestations pénitentielles, les occupations d’églises, les processions publiques, les pétitions au Congrès, et jusqu’au boycott économique du gouvernement – en vain… On pourrait d’ailleurs s’arrêter ici. Quand un gouvernement fait ouvrir le feu au mauser et à la mitrailleuse lourde sur des femmes et des enfants qui défilent en aube, dans la rue, sous la seule protection du Saint Sacrement, quel homme d’honneur ne prendrait pas les armes aussitôt ? Savez-vous ce que demanda saint Augustin sur son lit de mort, le 20 août 430, dans Hippone assiégée, aux disciples qui pleurnichaient de le voir partir vers le Ciel ? Il les mit tous à la porte, avec ce simple commandement militaire : « Les Barbares sont aux remparts de la ville : allez-y donc ! ». Ce n’est d’ailleurs pas à l’Église de décider où et quand il est légitime pour les catholiques de se jeter dans la résistance armée, comme le rappelait Pie XI, le 28 mars 1937, dans une lettre aux prélats de la hiérarchie mexicaine :
« Quand le pouvoir se dresse contre la justice et la vérité jusqu’à détruire les fondements de toute autorité, on ne voit pas comment on pourrait condamner les citoyens qui s’unissent pour défendre la nation et se défendre eux-mêmes, par les moyens légitimes appropriés, contre ceux qui programment étatiquement leur malheur (…). L’utilisation de ces moyens, l’exercice des droits civiques et politiques dans toute leur ampleur, qui inclut les problèmes d’ordre purement matériel et technique ou de défense par les armes, ne sont d’aucune manière de la compétence du clergé ni de l’Action catholique. »
3. – Le beau film de Dean Wright reste éminemment spirituel
J’ai bien du mal à comprendre comment une journaliste du quotidien La Croix peut dénigrer avec tant de fiel « l’inspiration chrétienne » d’un film qui romance avec tant de talent « la grande bataille du Christ », selon Pie XI, et la plus grande insurrection catholique du XXe siècle, selon les seuls historiens français qui aient étudié la question… Au Mexique, une nation entière se mobilise sous les drapeaux du Dieu fait homme, elle marche vers les mitrailleuses et les canons de l’Antéchrist parce qu’elle refuse l’abdication des dernières libertés de sa foi. Du point de vue de la connaissance historique, l’enterrement des Cristeros reste une absurdité?: en amont, en aval de ces trois années de guerre, s’inscrit le drame d’une gigantesque opération de déportation et de génocide qui donne sa dimension principale à la Révolution des bolcheviks mexicains. Les desfanatizadores du pouvoir central (« défanatiseurs », c’est le nom qu’ils se donnent), en programmant la mort de la religion catholique, plaçaient tout un pays hors la loi. Ils provoquèrent le soulèvement et la croisade que les pires corruptions politiques, le racket, la misère n’avaient pas entraînés. Ils y perdirent plusieurs années de suite le contrôle d’une quinzaine d’États, malgré le soutien militaire de l’Amérique, n’occupant plus que les capitales et quelques routes comme les Marines en Irak ou en Afghanistan. Sans l’incroyable dénouement des « Arreglos », ils y auraient perdu pour toujours le Mexique entier… D’un point de vue simplement catholique, le mystère du long silence général est encore plus grand. Car l’épopée des Cristeros a fait beaucoup plus de morts, elle a donné plus de martyrs à l’Église universelle que les déchaînements de la persécution religieuse en République Rouge espagnole, dix ans après. Leur Cristiada entre de plain-pied, dans la communion des saints, avec l’insurrection de Vendée « catholique et royale » chez les insurgés mexicains en la seule Personne du Christ qu’ils proclamaient « Roi des nations » aux côtés du pape régnant.
Hugues Kéraly dans L’Homme Nouveau