«Je suis extrêmement en colère. J’ai travaillé des années et des années pour mettre cet argent de côté et maintenant, je le perds parce que les Néerlandais et les Allemands en ont décidé ainsi»
Après l’annonce du plan d’aide européen samedi, des déposants se sont rués vers les distributeurs des banques pour retirer de l’argent. La session extraordinaire du Parlement prévue ce dimanche pour adopter la mesure a été reportée.
Une course contre la montre. Le plan de sauvetage de 10 milliards d’euros pour Chypre, conclu samedi à l’aube à Bruxelles, a provoqué la colère des Chypriotes et résidents étrangers de l’île. En particulier, la condition inédite acceptée par Nicosie en échange de l’aide internationale: une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires. Peu après l’annonce de l’accord, des dizaines d’épargnants se sont précipités pour retirer de l’argent aux distributeurs automatiques de leurs banques. «Nos distributeurs sont à cours de liquide», s’alarme une source bancaire auprès du Cyprus Mail . Des sociétés mutualistes de crédit ont dû fermer leurs portes pour éviter une ruée aux guichets. «Je suis extrêmement en colère. J’ai travaillé des années et des années pour mettre cet argent de côté et maintenant, je le perds parce que les Néerlandais et les Allemands en ont décidé ainsi», s’emporte Andy Georgiou, un épargnant de 54 ans cité par Reuters.
Cette taxe – de 6,75% en-deçà de 100.000 euros et de 9,9% au-delà de ce seuil – concerne tous les dépôts dans les banques de Chypre. Selon des estimations, le système bancaire chypriote abrite 69 milliards d’euros, dont 37% sont détenus par des non-résidents. Au moins 20 milliards d’euros appartiendraient à des citoyens russes, précise le journal grec Greek Reporter . Toujours est-il que la pilule est amère pour la population locale. L’économie chypriote a été durement frappée en 2012 par l’effacement d’une partie de la dette grecque. À cause de cette restructuration des créances de la Grèce, les deux plus grandes banques de Chypre ont subi une perte cumulée de 4,5 milliards d’euros. «Je ne vois pas pourquoi je devrais payer pour les erreurs des banques», s’insurge Andri Menelaou, 25 ans.
«Boîte de Pandore»
La consternation des Chypriotes est partagée par de nombreux économistes et acteurs bancaires, rapporte l’AFP. «Les dégâts risquent de durer sur le long terme», estime l’analyste Fiona Mullen. Selon le vice-président de l’Institut des experts comptables publics, Marios Skandalis, «il y a un risque très important que cela sonne le glas de Chypre en tant que centre financier fort et digne de confiance». Les retombées de cette taxation pourraient secouer d’autres pays de la zone euro. Pour Hubert Faustmann, un analyste politique allemand basé à Chypre, les retombées sont «imprévisibles» et les signataires de l’accord ont «ouvert une boîte de Pandore». Et d’avertir: «Imaginez ce qui risque de se passer si les investisseurs dans les autres pays européens bénéficiant d’un plan de sauvetage décidaient de retirer leurs fonds» par crainte d’une ponction similaire.
Sur le front politique, ce projet est loin de faire l’unanimité. Trois partis ont manifesté leur hostilité à ce volet du plan d’aide européen, note le Cyprus Mail . Andros Kyprianou, leader du parti progressiste des travailleurs (AKEL), a jugé l’attitude de la troïka vis-à-vis de Chypre «vindicative et néo-coloniale», tandis que le parti socialiste EDEK a estimé que l’Union européenne «enterrait le principe de solidarité communautaire».
La session extraordinaire prévue ce dimanche au Parlement pour discuter en urgence de ce volet du plan d’aide européen a d’ailleurs été reportée. Tout comme l’allocution prévue du chef de l’Etat, Nicos Anastasiades. Dans un entretien au Welt am Sonntag, le président du parlement européen Martin Schulz a plaidé pour une solution «socialement acceptable», même s’il a jugé «normal de faire participer les clients des banques». Il a estimé que «le plan doit être modifié, par exemple avec une exemption de taxe», pour les comptes inférieurs à 25.000 euros. Mais le temps presse pour les parlementaires chypriotes, qui sont censés approuver cette mesure avant mardi, jour de réouverture des banques après un lundi férié.
Le Figaro