De la découverte de la relique royale à son authentification, le médecin légiste Philippe Charlier et le journaliste Stéphane Gabet racontent leur aventure dans un livre qui paraît vendredi. Extraits en avant-première.
Le destin de la tête du bon roi est digne d’un roman-feuilleton. Dans Henri IV, l’énigme du roi sans tête, ouvrage qui sortira le 15 février, le journaliste Stéphane Gabet et le médecin légiste Philippe Charlier n’ont d’ailleurs pas boudé leur plaisir en racontant leurs recherches. Elles auront duré quatre ans, pleines de rebondissements, d’échecs mais aussi de succès.
Après son assassinat par Ravaillac, le 14 mai 1610, Henri IV fut enterré à la basilique de Saint-Denis, comme la plupart des rois. Mais son repos éternel fut brisé lors des profanations révolutionnaires de tombes royales, qui se déroulèrent du 12 au 25 octobre 1793. «D’après de nombreux témoignages, la nécropole des rois se serait alors transformée en véritable marché aux reliques (…) qui avaient une valeur symbolique et, donc, marchande forte», expliquent les auteurs. Est-ce à ce moment-là que la tête d’Henri IV fut détachée de son corps? Aucun témoignage ne le signale. En tout cas, Henri IV fut rejeté dans les fosses communes. Vingt-quatre ans plus tard, le 18 janvier 1817, quand le roi Louis XVIII fit ouvrir les fosses communes de Saint-Denis, la dépouille d’Henri IV fut découverte décapitée. Le mystère commence ici.
Cent deux ans plus tard, le 31 octobre 1919, les biens d’Emma Camille Nallet Poussin, peintre à Montmartre, sont vendus aux enchères à Drouot. L’artiste est décédée et ses affaires sont dans un garde-meubles depuis dix ans. Pour 3 francs, un certain Joseph Émile Bourdais, photographe, emporte le lot. Passionné par Henri IV, il pense avoir reconnu la relique et s’efforcera toute sa vie d’en prouver l’authenticité. Il n’arrive pour autant à convaincre personne. «Son histoire fait au mieux sourire, au pire inspire du dégoût. Et puis il n’est pas du sérail», poursuivent les auteurs. Dans les années 1930, Joseph Émile Bourdais exhibe la tête pour une poignée de pièces et rédige une épaisse brochure. Peu avant sa mort, en 1946, il tente de donner sa momie au Musée du Louvre, qui la refuse. Sa sœur en hérite, puis décède.
«L’instant est magique»
L’affaire rebondit en 2008. Stéphane Gabet, un des auteurs, prépare une émission sur Henri IV et prend rendez-vous avec Jean-Pierre Babelon, un académicien spécialiste du roi. «Il a fini par retrouver une lettre datée de 2006, d’un M. Jacques Bellanger qui disait s’intéresser à la tête perdue», raconte-il. Stéphane Gabet va contacter Jacques Bellanger, au début rétif à parler. «Mais des mois plus tard, il me rappelle, et m’avoue être en possession d’une tête momifiée, rachetée en 1953 à Mme Gaillard, la sœur du brocanteur.»
Un an après le premier entretien téléphonique, les auteurs se rendent chez les époux Bellanger. Au grenier, dans une vieille armoire se trouve une caisse: «On voit une vieille serviette qui enveloppe quelque chose. Jacques Bellanger rabat la serviette d’un côté, puis de l’autre. La tête apparaît alors momifiée, bien conservée. Impressionnante. L’instant est magique.»
Les époux remettent la caisse à nos deux enquêteurs, qui se dirigent vers un laboratoire de l’AP-HP. «Elle subit un premier examen à l’œil nu: il y a quelques longs poils de moustache encore visibles, d’autres cassés à la racine (…) Le nez est cassé (…) dévié sur le côté gauche (…). La tête a une couleur d’un brun diffus, une bouche grande ouverte (…) presque tous les tissus mous sont conservés. (…). On peut compter pas moins de six abcès dentaires. (…) Le lobe de l’oreille droite, la seule qui reste, est percé.» La tête a été tranchée à l’aide d’un couteau ou d’un sabre. Mais le crâne n’est pas scié: il n’y a donc pas eu de trépanation, comme c’est généralement le cas pour les rois. «Pour l’instant, rien ne permet encore de dire s’il s’agit, ou pas, d’Henri IV», admettent les auteurs.
Trois jours plus tard, rendez-vous est pris pour un scanner à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, au service du professeur Grenier. «La tête est installée sur une table, calée par des mousses (…) ; Surprise: l’individu souffrait d’une cataracte droite et était porteur d’importantes lésions d’arthrose (…) mais surtout, son cerveau est bien présent, réduit à l’état d’un dépôt desséché de deux à trois centimètres.» Ce crâne n’est donc ni scié, ni trépané: «L’hypothèse Henri IV semble de prime abord perdre beaucoup de sa substance», peut-on lire.
Un premier portrait-robot
Direction le Musée de l’histoire de la médecine, à l’université Paris-Descartes. Les chercheurs remarquent alors une lésion osseuse «compatible avec la marque qu’aurait pu laisser une blessure au couteau», comme celle perpétrée par Jean Châtel, en 1594, sur Henri IV. Sur le nez, une «protubérance noirâtre» qui correspondrait au gros grain de beauté du roi. Enfin, reste un détail, une sorte de «tatouage» à la base du cou, «d’une couleur noire intense». Unetrace d’embaumement? Pour le savoir, une fibroscopie est réalisée, qui ne donne rien. Les auteurs se rendent alors chez à l’entreprise IFF pour faire sentir la tête par un nez. Là encore, pas de traces d’odeurs de produits d’embaumement.
Devant tant d’impasses, une première recherche ADN est tentée. Au CHU de Garches, des tissus sont prélevés. «Pour pouvoir comparer, nous entamons des démarches pour obtenir des échantillons de fragments corporels supposés du roi.» Au Musée-Hôtel Bertrand, à Châteauroux, trois poils de barbe sont «empruntés» sous l’œil d’un huissier. Au Musée Tavet-Delacour, à Pontoise, une fraction de pouce est embarquée. Enfin, le château de Pau fournit des poils de barbe. Sur le chemin du retour de Pau, le portable sonne: c’est Jean-Noël Vignal, anthropologue spécialiste des reconstitutions faciales qui vient de terminer un premier portrait-robot: «Si ce n’est pas Henri IV, c’est son frère jumeau», explique ce dernier. Tandis que l’excitation est à son comble, une nouvelle fait l’effet d’une douche froide: l’ADN est inexploitable.
«Le brocanteur avait raison seul contre tous»
Mais des études toxicologiques montrent que les différents fragments présentent un même taux de plomb, ce qui montrerait qu’ils ont séjourné dans le même cercueil. Les auteurs se plongent alors dans les archives et les sources historiques, cherchant notamment la raison pour laquelle le crâne n’a pas été scié. Pour eux, le roi aurait bénéficié d’un embaumement à l’italienne. Le Musée de Condé, grâce à un portrait, résout par ailleurs l’énigme du trou dans le lobe de l’oreille: Henri IV portait un anneau à l’oreille droite.
Enfin, en 2011, des résidus appartenant au sang attribué à Louis XVI ont été découverts en Espagne. «Nous tentons de comparer deux échantillons, dont un provenant du tissu trachéal» davantage protégé du plomb, car au fond de la gorge. «Les résultats vont s’avérer compatibles avec une relation paternelle directe sur sept générations.» Alors les auteurs triomphent: «Henri IV a enfin trouvé sa tête.» Une reconstitution faciale est même faite: elle est «troublante» tant elle est proche de l’iconographie connue du roi. «Joseph Émile Bourdais, le brocanteur, avait donc raison seul contre tous», concluent Stéphane Gabet et Philippe Charlier.
Henri IV, l’énigme du roi sans tête, de Stéphane Gabet et Philippe Charlier, éditions Vuibert, 160 pages, 16,90 €. En librairie le 15 février.