Aucun des douze millions de visiteurs qui se pressent tous les ans au château ne connaît ce lieu. En exclusivité, Le Figaro Magazine vous fait découvrir la Petite Écurie du roi, qui recèle une collection exceptionnelle de 5000 sculptures et moulages d’après l’antique.
Un lieu inconnu au cœur même de Versailles? On n’ose y croire. D’autant qu’il ne s’agit pas de quelque modeste édifice accolé aux dépendances du bâtiment, mais d’une construction du grand Jules Hardouin-Mansart lui-même: l’ancienne Petite Écurie du roi. À l’intérieur: une admirable collection de sculptures et de moulages historiques d’après l’antique. En termes savants, on appelle cela une «gypsothèque». Un endroit où 5000 chefs-d’œuvre se tiennent sagement en rangs serrés, tous siècles mélangés, où la mythologie côtoie la religion et l’histoire, où les bustes des grands hommes regardent vers les nymphes. C’est l’un des plus beaux endroits de Versailles, le plus onirique aussi, et le plus secret. Fermé au public depuis trente ans, il va être possible de le visiter sur réservation*. Mais avant même son ouverture, nous l’avons photographié: voici un Versailles jamais vu.
La longue histoire de cette gypsothèque est superbe. Si l’on y voit tant de chefs-d’œuvre, c’est qu’elle réunit trois fonds importants: la collection de moulages du Louvre, celle de l’École des beaux-arts et celle de l’Institut d’art et d’archéologie qui dépend de la Sorbonne. Il y a là des pièces très anciennes qui attestent du goût de Louis XIV pour l’antique. C’était un dogme pour le roi que la perfection des anciens: on ne peut, comme l’écrira La Bruyère, les égaler qu’en les imitant. Colbert impose aux pensionnaires de l’Académie de France à Rome leur stricte copie. Si bien que peu à peu affluent à Paris les moulages de plâtre et, à Versailles, les répliques de pierre ou de marbre. Ces copies favorisent la mainmise de l’État sur les arts et sont la règle dans les manufactures, celle des Bâtiments du roi et celle des Meubles de la Couronne: ainsi, rien ne s’oppose à l’étatisation générale du monde artistique. Mais les collections royales s’enrichissent de manière spectaculaire, on en a ici la preuve.
L’autre source de la gypsothèque de Versailles est l’École des beaux-arts. Les moulages étaient accumulés dans les salles entourant la vaste cour vitrée aménagée par Duban au XIXe siècle. Ils seront en partie saccagés en mai 1968, comme les témoignages d’un enseignement académique honni, et couverts de graffitis, dont certains seront laissés bien visibles lors de la restauration des moulages. On a en effet estimé qu’ils faisaient partie de l’histoire des œuvres et de celle de l’enseignement des arts. Ce fonds témoigne d’une fascination pour l’art romain et les grands modèles venus d’Italie, bien avant ceux de la Grèce que les archéologues ne mettent au jour qu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est d’abord l’art grec classique puis l’art grec archaïque, révélé par les fouilles de Délos, d’Olympie et de Delphes, qui sont connus à une époque où le voyage en Grèce reste encore rare. Ce n’est qu’autour de 1930 que ces moulages seront un temps exposés au Louvre sur les paliers de l’escalier de La Victoire de Samothrace, où Debussy les vit et où la Colonne des danseuses de Delphes lui inspira une ode. Comme le souligne Jean-Luc Martinez, conservateur général du patrimoine et responsable de la gypsothèque du Louvre à Versailles: «La présence dans les mêmes murs des moulages et des marbres originaux montre l’importance que revêtaient alors ces plâtres, parfois présents dans les salles en complément des originaux.» Aujourd’hui, plus aucun musée ne se permettrait cette confusion.
Les moulages retrouvent donc avec la gypsothèque de Versailles leur vocation première: être un conservatoire de formes et de civilisations disparues. Le cadre qui les abrite est l’un des plus beaux bâtiments du XVIIe siècle français. Construite par Hardouin-Mansart en 1678, la Petite Écurie témoigne de la science de l’architecte pour la maîtrise des volumes et de l’espace. Il faisait, disait-on, preuve de promptitude dans la conception, de rapidité dans l’exécution. Il avait la réputation d’être hardi sur les chantiers, docile juste ce qu’il fallait devant le roi, doué pour imaginer l’accord qui «va de soi» entre le beau et l’utile. Les volumes grandioses qu’il a su donner à la Petite Écurie allaient la désigner pour accueillir la gypsothèque en 1970. Puis il fallut aménager les galeries dans l’intention d’y recevoir un public désireux de découvrir l’originalité comme l’importance historique et artistique de l’ensemble. Les visiteurs qui le voudront pourront désormais voir les moulages présentés sur 2500 mètres carrés, révélant l’importance de ces œuvres dans l’affirmation de l’art exemplaire qu’est le classicisme français.
Louis XIV collectionneur d’antiques
Amateur passionné, le roi avait rassemblé un magnifique ensemble de statues antiques. Elles sont à nouveau réunies à Versailles le temps d’une exposition, qui, selon Catherine Pégard, présidente de l’Établissement public du château de Versailles, évoque «un style associé à un lieu de pouvoir». Elle ajoute: «La passion de Louis XIV pour la collection fut une aubaine magnifique pour les plus grands artistes dont les chefs-d’œuvre allaient parfois surpasser leurs modèles antiques.» Versailles, nouvelle Rome, telle était l’ambition du souverain pour qui l’Antiquité était la référence suprême. L’exposition, qui rappelle cette référence, réunit plus de 200 œuvres parmi lesquelles les antiques les plus illustres, de retour à Versailles pour la première fois depuis la Révolution. L’antique, c’est d’abord un ensemble de peintures et de sculptures qui sont les témoignages recherchés des brillantes civilisations disparues.
Louis XIV, comme tous les souverains d’Europe, cherche à les acquérir (Vénus pudique, dite aussi Vénus Médicis, un titre qui souligne sa prestigieuse provenance) ou à les faire copier (Bacchus enfant). Ces statues sont ensuite installées à Versailles dans les grands appartements et les jardins. Elles donnent l’image d’une Antiquité recomposée à la gloire du roi, mais elles jouent aussi le rôle de modèles pour les créateurs appelés à collaborer au grand chantier versaillais. Quant aux peintures, leur faculté persuasive les rend précieuses: le mythe du héros et du Roi-Soleil, auquel Versailles va vouer son hymne immense, sera forgé à des fins politiques (François Lemoyne, L’Apothéose d’Hercule). Durant ce long siècle dédié au classicisme inspiré de l’antique, à peine entend-on un murmure qui, contre le consensus général, réhabilite l’imagination aux côtés de la raison et soutient que «la poésie est plus vraie que l’histoire». Celui qui l’affirme s’appelle Nicolas Poussin.
Le Figaro via Institut Duc d’Anjou